Du 3 au 24 février 2018, la galerie Openspace a accueilli pour la première fois Logan Hicks, maître incontesté du pochoir, prodige du multi-layer, stakhanoviste de la bombe, artiste de l’ombre et de la lumière. Avec « Light Seekers and Night Crawlers » il nous présente une trentaine d’oeuvres issues de ses photos prisent à New York, Paris ou Marrakech aux rendus hyper-réalistes qui montrent sa maîtrise technique mais aussi sa maîtrise des couleurs et de la lumière. La lumière est un élément primordial pour Logan Hicks « Pour ma part, c’est la lumière mon intention première. Je ne m’intéresse pas vraiment à la forme de l’objet, mais plutôt à la manière dont la lumière tombe dessus. La lumière, c’est ce qui donne vie à une peinture. Quand je regarde une scène de rue, je ne vois pas le nombre de voitures ou de bâtiments, mais par contre je vois qu’il y a un lampadaire avec une lumière LED bleutée à côté d’une autre au sodium dans des tons jaunes. Capturer cette tension entre deux lumières différentes est ce qui me passionne le plus. […] Même si les sujets que je représente sont le plus souvent inanimés, la lumière, elle, est vivante. C’est ce qui donne sa cohérence à l’ensemble. » pour reprendre ses mots tirés d’un entretien avec Lori Zimmer que vous retrouverez en intégralité en fin d’article.
Je vous copie ici le dossier de presse de la galerie à propos de l’expo et de l’artiste !
La Galerie Openspace est fière de présenter pour la première fois l’Américain Logan Hicks. L’exposition Light Seekers and Night Crawlers est l’occasion de découvrir le travail du pionnier du pochoir hyperréaliste et ses multiples fascinations. Logan Hicks s’est attaché à montrer sa propre vision poétique de la ville à travers une trentaine d’œuvres sur toile et sur bois sous forme de paysages nocturnes et de scènes énigmatiques.
Logan Hicks est né en 1971. Après avoir grandi à Baltimore, il sort diplômé au début des années 90 du Maryland Institute of Contemporary Art et devient alors sérigraphe. C’est son ami Shepard Fairey qui le persuade de le rejoindre à San Diego en Californie, afin de s’inscrire dans le mouvement Low Brow des années 90 et approfondir ainsi la technique du pochoir qu’il vient de découvrir. Celle-ci lui permet en effet de dépasser les limites de la sérigraphie et de proposer un travail artistique, plus immédiat, qui combine la notion d’œuvre originale et celle de multiple.
En 2007, Logan Hicks gagne de nouveau la Côte Est et décide de s’installer à New York dans le quartier de Brooklyn. Le marché de l’art urbain s’amorce alors, tandis qu’au même moment, la scène new-yorkaise prend son essor, représentée par des artistes comme Swoon et Faile. Logan Hicks est alors déjà devenu célèbre pour être le pionnier du pochoir multi-layers.
Fasciné par l’exploration de la ville, ses lignes de fuite, ses lumières, ses cimes et ses souterrains, il travaille à partir de ses photographies. La réalisation de ses œuvres nécessite en moyenne cinq ou six couches de papier (layers en anglais) qui sont découpées, puis utilisées comme pochoirs de façon superposée, afin d’atteindre le résultat escompté. Il s’agit d’un travail au rendu hyperréaliste qui s’éclaire d’un sens nouveau quand l’artiste vient poser ses couleurs à la main, à la bombe aérosol, sur le support de la toile ou du bois. C’est là, avec un traitement exceptionnel de la lumière nocturne, que l’œuvre, paradoxalement, s’éloigne de la réalité pour prendre une dimension profondément poétique.
Respecté dans le monde de l’art à plusieurs titres, Logan Hicks est régulièrement sollicité en tant que commissaire d’expositions à l’international et est ainsi à l’origine de nombreux projets artistiques. Depuis son premier solo show en 2001, il a exposé son travail à travers le monde dans les plus grandes galeries, de Lazarides à Opera Gallery, et montre son travail en France depuis dix ans.
C’est après une longue résidence d’été à Paris, en 2017, que la Galerie Openspace invite l’artiste américain à réaliser une exposition. Samantha Longhi, co-directrice de la galerie avec Nicolas Chenus, et historienne du pochoir, a exposé son travail à plusieurs reprises dès la fin des années 2000.
Logan Hicks nous transporte donc ici dans différentes villes, de Paris à New York en passant par Marrakech et Turin, comme une immersion picturale dans son carnet de voyages. Les œuvres de Light Seekers and Night Crawlers invitent le spectateur à observer la ville et ses rues aux profondes perspectives, le plus souvent désertes, questionnant notre rapport à la lumière et au crépuscule et interrogeant les notions d’identité et de solitude. L’artiste transforme ainsi des vues architecturales ordinaires en scènes profondément contemplatives et métaphoriques, et propose avec cette exposition une promenade intime, à l’essence pleinement romantique.
Interview de Logan Hicks par Lori Zimmer, Paris, 2018
L’artiste revient sur son parcours et présente son exposition.
Logan Hicks, tu es connu pour repousser les limites du pochoir jusqu’à atteindre un photoréalisme étonnant. Peux-tu nous expliquer comment tu obtiens un résultat aussi précis en utilisant seulement des pochoirs et de la bombe aérosol ?
En fait j’utilise le pochoir pour faire des œuvres qui ne ressemblent pas à des pochoirs. J’essaye de pousser ce médium pour lui faire faire autre chose que de grossières images monochromes. La plupart des artistes du mouvement pochoir se contentent de dessiner des silhouettes et d’ajouter ensuite des couleurs comme sur un carnet de coloriage. Pour ma part, c’est la lumière, mon intention première. Je ne m’intéresse pas vraiment à la forme de l’objet, mais plutôt à la manière dont la lumière tombe dessus. La lumière, c’est ce qui donne vie à une peinture. Quand je regarde une scène de rue, je ne vois pas le nombre de voitures ou de bâtiments, mais par contre je vois qu’il y a un lampadaire avec une lumière LED bleutée à côté d’une autre au sodium dans des tons jaunes. Capturer cette tension entre deux lumières différentes est ce qui me passionne le plus. Le pochoir est le parfait médium pour jouer avec ces tensions entre couleurs, car la brume de la bombe aérosol tombe sur le pochoir de la même manière que la lumière sur le mobilier urbain. Dans mon esprit, quand je peins, il s’agit toujours d’une lutte de couleurs. Si dans le premier layer (couche de papier découpé – ndlr) j’utilise beaucoup de bleu et seulement un peu de jaune, dans la seconde il y aura beaucoup de jaune avec un peu de bleu. Et la troisième sera un équilibre des deux. C’est comme si les couleurs luttaient les unes avec les autres. Du moins c’est comme ça que j’aborde mes peintures. Même si les sujets que je représente sont le plus souvent inanimés, la lumière, elle, est vivante. C’est ce qui donne sa cohérence à l’ensemble.
Le début de ta carrière dans les années 1990 est conco-mitant de l’explosion du genre de l’art urbain. Comment as-tu commencé ? Qui sont les artistes de ta génération qui continuent de t’influencer 20 ans plus tard ?
J’ai eu la chance d’avoir un solide réseau d’amis par-tout dans le monde qui m’ont soutenu artistiquement et m’ont aidé à perfectionner la pratique dont je vis. Trouver des gens qui te soutiennent sincèrement sur le chemin que tu empruntes est difficile, mais absolument essentiel. Des artistes comme Christian Guemy (C215) m’ont énormément soutenu en m’offrant des opportunités, en me faisant des retours sur mon travail ou simplement en m’écoutant vider mon sac. Nous avons été à Istanbul, Toronto, New York et Paris ensemble, et à chaque fois que je le vois, je me sens remonté à bloc et plus motivé que jamais.
D’autres artistes comme Joe Iurato m’ont également beaucoup encouragé. Nous avons fait de nombreuses collaborations ensemble. Trouver comment accorder son travail à la vision de quelqu’un d’autre est crucial pour déterminer sa place en tant qu’artiste. Au départ, ma plus grande audience était en Australie et Rone (qui dirigeait Everfresh Studios à l’époque) m’a aidé à me faire connaître, m’a accueilli chez lui et a défendu mon travail. Shepard Fairey m’a aussi guidé dans ma pratique à mes débuts, en 1999. Il me donnait son avis et était toujours très disponible quand je le sollicitais. J’ai adoré voir travailler des anciens comme Ron English qui continuent à faire évoluer leur art et cherchent de nouvelles manières originales de communiquer leur vision. Pouvoir se tourner vers ce genre de personnes est essentiel pour un artiste. Sans ça, tu te sens dériver au milieu d’une marée humaine sans vraiment avoir l’impression de savoir où tu vas.
Quand j’ai commencé à la fin des années 1990, le terme « street art » n’était pas encore très courant. C’était juste de l’art créé par des gens qui voulaient être vus mais qui ne rentraient dans aucun mouvement. A l’époque, on n’avait pas l’ambition d’être street artist. On ne pouvait pas en vivre. Les street artists étaient des marginaux qui ne rentraient dans aucune autre case, comme à l’origine le mouvement punk. Quand je me suis installé à Los Angeles, les choses ont commencé à bouger. Le pochoir était déjà très répandu en Australie, et plus tard à Londres. C’est comme ça que j’ai rencontré des gens comme Rone, Lister et C215, et que j’ai réalisé qu’il s’agissait d’un vrai mouvement. J’aimais penser au fait que quand je dormais, il y avait quelqu’un sur la planète en train de travailler. Ça me poussait à aller plus loin, à travailler plus dur.
De manière ironique, presque 25 ans après avoir tiré un trait sur le monde de l’art, j’ai aujourd’hui l’impression d’en faire partie. J’ai beau être un pochoiriste, je me dé nis davantage comme un peintre qui utilise le pochoir comme médium. Trouver de nouvelles manières de repousser les limites du pochoir a été un challenge. Des artistes comme C215, Joe Iurato et Chris Stain contribuent également à faire évoluer cette pratique et me donnent envie de continuer à me dépasser.
L’architecture et les scènes urbaines ont une grande importance pour toi. Peux-tu nous expliquer ce que tu souhaites communiquer quand tu photographies et peins ce genre d’images ?
Il n’y a pas de messages spécifiques derrière mes peintures, il s’agit plutôt de communiquer une impression d’ensemble ou des idées abstraites qui m’obsèdent. Pour moi, la ville de nuit incarne le lieu de l’imagination par excellence : de grands paysages vides où tout est possible. C’est comme une scène géante qui attend d’être animée. Tu regardes les rues et tu imagines les milliers de gens qui les ont foulées, les conversations, les histoires et les chagrins d’amour vécus au même endroit. On pourrait se placer à n’importe quelle in- tersection de n’importe quelle ville, attendre, et voir le spectre entier des émotions humaines se dérouler sous nos yeux. C’est pour ça que quand je regarde la ville la nuit, avec la lumière qui rase les bâtiments et les voi- tures, je me sens comme un voyeur qui se promènerait dans la tête de quelqu’un pendant son sommeil. Je vois tout ce potentiel en attente.
New York est l’un de tes sujets favoris. Quelle est ta relation avec cette ville ? Tu as passé l’été dernier à découvrir Paris, qu’en penses-tu ? As-tu une relation différente à ces deux villes ?
New York a toujours été « La Ville ». Etant né aux États- Unis, New York est la mégapole la plus grande et la plus animée. Comme le dit le dicton, « if you make it in New York, you make it anywhere ». Mais comme je suis imprégné de culture américaine, que je parle anglais et que j’y ai des amis, je ne peux pas vraiment voir la ville d’un œil nouveau. Je la connais trop bien pour la regarder à neuf. Les lieux me paraissent familiers même quand je n’y ai pas vécu. C’était différent quand j’ai passé l’été à Paris. Je ne parle pas bien français donc j’ai pu me balader dans la ville en observant sans être distrait par les bribes de conversations captées au passage dans les rues. Tout ce que je voyais était nouveau. Chaque endroit était une découverte. Au lieu de parler aux gens ou de lire sur la ville, je n’avais qu’à me laisser submerger par l’énergie qui m’entourait. Bien sûr, on connaît tous les quartiers touristiques et la géographie générale de la ville, mais ce sont les petites rues et les coins moins fréquentés qui ont été les plus intéressants à découvrir pour saisir l’atmosphère de la ville.
Peux-tu nous parler de ton exposition à la Galerie Openspace ? Il semblerait que c’est l’une des plus grandes expositions que tu aies faites à ce jour…
Elle s’intitule « Light Seekers and Night Crawlers ». Ce titre vient de mes observations et du constat que les gens ont tendance à soit aller vers la lumière soit s’en éloigner. Personne n’aime le crépuscule. La lumière a toujours été présente dans mon travail, et j’aime l’utiliser comme métaphore du savoir, de la clairvoyance, de la pureté, etc. Quand je me balade la nuit dans les rues pour prendre des photos, je regarde la manière dont les gens marchent, pourquoi certaines personnes se tiennent dans l’ombre, rasent les bâtiments au lieu de se mettre en pleine lumière ; et pourquoi d’autres ont l’air d’avoir si peur de l’ombre. C’est un peu le combat que l’on mène avec sa conscience sûrement. Tout n’est pas fait pour être mis en lumière. Il faut de l’ombre pour atteindre un équilibre. Dans cette exposition, j’explore une nouvelle fois la lumière et la couleur dans l’environnement urbain. Comme je suis principalement connu pour mes vues architecturales, je présente des pièces de grand format qui continuent de développer ce thème de Marrakech à Turin en passant par Paris et bien sûr New York. Cependant, j’ai commencé à peindre davantage d’œuvres figuratives. J’y développe les mêmes idées que dans mes pièces architecturales, mais au lieu de travailler en grand et de privilégier l’abondance de détails, je m’exerce à la retenue et à la simplicité. Même si les œuvres ont l’air d’être différentes visuellement, pour moi c’est la même inspiration. La complexité des scènes urbaines que je représente est à l’égal de l’esprit des personnages que je dépeins.
Lori Zimmer est commissaire d’expositions, journaliste et auteur, notamment des livres The Art of Cardboard et The Art of Spraypaint publié chez Rockport Publishers. Anciennement directrice d’une galerie de Chelsea, elle fonde la structure Art Nerd New York en 2010, qui concentre ses efforts sur l’histoire de l’art et l’art contemporain à New York et au-delà.
GALERIE
OPENSPACE
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116, boulevard Richard Lenoir 75011 Paris, France
merc- sam ; 14h-19h
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